Steven Spielberg a transformé Hollywood avec « Les Dents de la mer », inventant le blockbuster moderne. Son flair et son talent n’ont pas failli depuis.
La sortie de The Fabelmans, mercredi 22 février, offre l’occasion de revisiter la foisonnante filmographie de Steven Spielberg, réalisateur incontournable de la planète cinéma depuis Les Dents de la mer, mètre-étalon du blockbuster. En sept films, comme septième art, les constances et la diversité d’un cinéaste qui caracole au sommet du box-office depuis 1975.
« Les Dents de la mer » : blockbuster
Hollywood a toujours produit d’énormes films, comme Intolérance (1916) Folies de femmes (1922), ou Autant en emporte le vent (1939), aux budgets pharaoniques et succès foudroyants. Le phénomène s’est épuisé dans les années soixante pour renaître en 1975 avec l’adaptation du best-seller de Robert Sheckley Jaws (Les Dents de la mer en français) par Steven Spielberg. Réalisateur de télévision, notamment avec son magistral Duel (1971, Grand prix au Festival d’Avoriaz), distribué en France en salles, il se voit confier le projet, qu’il va transformer en phénomène mondial.
Le talent de metteur en scène s’impose dans l’ambiance donnée à la petite ville balnéaire d’Amity, dont la plage est hantée par un grand requin blanc meurtrier, entrainant une mission en mer pour l’abattre. Ses interprètes géniaux (Roy Scheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss), une action sans relâche, sur la musique d’un compositeur qui va être identifié à ces mêmes blockbusters, John Williams , font du film un grand moment de cinéma qui n’a pas pris une ride.
« Rencontres du 3e type » : génération « Star Wars »
En 1977, Star Wars confirme la révolution que connaît Hollywood depuis Les Dents de la mer, avec le retour des films de genre. Dans la foulée, une kyrielle de films s’orientent vers l’espace (Alien, Le Trou noir, Star Trek, le film…). Steven Spielberg choisit de s’inspirer des observations d’OVNI qui, au début des années 1970, connaissent une vague incroyable tant aux Etats-Unis qu’en France. Il se base sur un scénario de Paul Schrader (Taxi Driver) qui se retirera du projet après les changements apportés à son script par le réalisateur. Celui-ci en fera un roman éponyme publié en 1979 (éditions J’ai lu). Alors que depuis les années les films mettent en scène des extraterrestres belliqueux, Rencontre du 3e type imagine des aliens pacifiques qui cherchent à entrer en contact direct avec les humains.
Magnifiquement photographié par Vilmos Zsigmond (parmi les plus belles nuits du cinéma), lyrique sur le musique de John Williams avec ses cinq notes pentatoniques ancrées dans la mémoire de tous les spectateurs, le film est une montée en puissance jusqu’au climax. La visite du « vaisseau-mère », gigantesque lampion de lumières multicolores orchestré par le maître des effets spéciaux Douglas Trumbull fut l’événement cinéma de 1978.
« Les Aventuriers de l’Arche perdue » : vous avez dit serial ?
Spielberg s’allie à l’autre roi des blockbusters, George Lucas, pour réaliser Les Aventuriers de l’Arche perdue, qui s’avèrera le prototype de la franchise Indiana Jones en 1982. C’est Lucas qui glisse à l’oreille de son confrère et ami son projet de faire revivre les serials (feuilletons sur grand écran) des années trente-quarante. Ils se promettent d’en faire une trilogie si le succès est au rendez-vous. On connaît la suite : quatre films et un cinquième en tournage, ainsi qu’une série (Les Aventures du Jeune Indiana Jones qui prépare sa deuxième saison).
L’époustouflante scène d’ouverture aspire le spectateur dans un tourbillon d’aventures exotiques, du Pérou à Egypte, en passant par le Népal. Spielberg choisit Harrison Ford pour incarner son archéologue téméraire, après sa révélation en Han Solo dans Star Wars. Bon choix : l’acteur apporte toute sa « coolitude », son humour et son charisme à l’intrépide chercheur de trésor, confronté à moult périples, pièges, et concurrents belliqueux. Spielberg remporte encore la timbale. Il laissera pour la première fois sa place de réalisateur sur la série à James Mangold (Logan, Le Mans 66), pour le cinquième opus de la franchise : Indiana Jones et le cadran de la destinée, attendu en France le 23 juin 2023.
« E. T. l’extraterrestre » : le lutin des étoiles
Steven Spielberg avait déclaré qu’il aurait aimé donner une suite à Rencontres du 3e type. Si cela ne s’est pas fait, E. T. en garde les traces. Le film adapte un scénario de Melissa Mathison, ex-épouse d’Harrison Ford, qui écrira plusieurs films sur l’enfance (L’Etalon noir, L’Indien du placard, Le BGG). E.T., l’extra-terrestre restera en tête du box-office mondial pendant onze ans, avant d’être détrôné par Steven Spielberg encore avec Jurassic Park (1993). Le jeune Elliot du film, qui se lie d’amitié avec un extraterrestre, est déjà le Spielberg que l’on retrouve dans The Fabelmans. On passe de l’amitié à l’amour du cinéma. Quant à la famille éclatée du film, elle est issue de sa propre jeunesse qu’il évoque plus directement aujourd’hui.
Le réalisateur crée l’année du tournage du film sa société de production Amblin Entertainment. Son logo est tiré d’une image du film : la silhouette d’Elliot à vélo avec E. T. dans un panier passant devant la Lune. La fin du film a fait pleurer les foules du monde entier.
« La Liste de Schindler » : le film aux sept Oscars
Qualifié de réalisateur mainstream de divertissement et de fantasy, Steven Spielberg s’est tourné vers des sujets plus sérieux depuis La Couleur pourpre (1985), sur l’esclavagisme dans les Etats du sud des Etats Unis. La communauté afro-américaine reviendra dans ses films Amistad (1997), et Lincoln (2012). La Liste de Schindler, en 1994, constitue sans doute l’apogée de la filmographie dite « dramatique » de Steven Spielberg. Le sujet adapte l’histoire vraie de l’industriel allemand Oskar Schindler qui sauva quelque 1 200 Juifs de la déportation et de l’extermination durant la Seconde Guerre mondiale. Roman Polanski et Martin Scorsese ont refusé le projet, Spielberg, d’origine juive, le prend.
Le film est bien accueilli par la critique et recevra sept Oscars, dont ceux de meilleur film et de meilleur réalisateur en 1994. Le film évoque en noir et blanc la Shoah, depuis le ghetto de Cracovie jusqu’aux camps de la mort, sous les yeux de Schindler, de son employé juif, et du sous-lieutenant SS Amon Göth qui deviendra commandant du camp de concentration de Płaszów. Le film révèle au public Liam Neeson (Schindler) et Ralph Fiennes (Göth), leur ouvrant ainsi la carrière qu’on leur connaît depuis, au côté de Ben Kingsley, déjà acteur aguerri. L’horreur du génocide juif est traitée par Spielberg avec l’humanisme omniprésent dans tous ses films, faisant de La Liste de Schindler le film incontournable sur le sujet. Spielberg ne se fera pas payer comme réalisateur, considérant qu’il aurait alors touché le « salaire du sang ».
« Jurassic Park » : le retour numérique des dinosaures
Le directeur d’Universal, Sidney Jay Sheinberg, avait donné le feu vert à Spielberg pour La Liste de Schindler, s’il tournait auparavant Jurassic Park. Le réalisateur se pliant à la requête, il tourne un film de pure fantaisie qui va à nouveau changer le cours du cinéma. Si l’on y retrouve l’enfance et la dynamique de ses divertissements, Jurassic Park marque une date dans l’usage des images numériques dans les films. Après des démonstrations plus ou moins heureuses depuis Tron (1982), le procédé progressait continuellement mais sans convaincre totalement. Le spécialiste des effets spéciaux Phil Tippett et le studio de George Lucas ILM vont peaufiner les images de synthèse des dinosaures, en les mêlant à des spécimens grandeur nature animés par l’électronique (animatronique) sur le plateau. Le résultat, après montage, va époustoufler le monde entier. Peter Jackson déclarera : « Je me suis dit que je pouvais faire Le Seigneur des anneaux quand j’ai vu Jurassic Park ».
On retrouve dans ce film son plaisir à horrifier le spectateur. Il consiste ici à faire subir les pires frayeurs à un duo d’enfants d’une dizaine d’années, et à émailler son film d’images d’horreur explicites, comme celle du directeur de communication du parc écartelé par un tyrannosaure. Le film est à l’époque le plus gros succès financier jamais réalisé au monde, surclassant E.T. l’extra-terrestre, précédent détenteur du titre.